TRUONG SON

Union des Vietnamiens en Belgique

« Un désordre joyeux »

La Zinneke parade en désordre de bataille. Une blonde à frange, une Asiatique et son chignon et une Congolaise, avec sa multitude de petites couettes dans les cheveux. Les chars de Frites sauce manioc se verront de loin.

« On montre un désordre culturel, lié à l’union de trois communautés : belge, congolaise et vietnamienne, d’où l’association entre la frite et le manioc, un légume qu’on retrouve en Afrique et en Asie », indique Emmanuelle Vincent, coordinatrice et fondatrice de T.r.a.n.s.i.t.s.c.a.p.e, compagnie de danse dans laquelle le projet est né. « J’ai fondé la compagnie avec Pierre Larauza. Il est en couple avec une Africaine et je suis en couple avec un Vietnamien, et de là vient notre intérêt pour le métissage. » Thy Truong Minh, son petit ami et coordinateur pour les arts plastiques, renchérit. « C’est inédit de regrouper Vietnamiens et Congolais, car ce sont deux communautés qui ne se rencontrent pas spontanément. »

Ils ont travaillé sur la danse, la musique et les arts plastiques. « Le but était d’échanger nos codes pour faire une parade hybride et qu’on ne sache plus quel code appartient à quelle communauté », explique Mme Vincent. « Dans ce processus de mélange, on s’est rendu compte qu’il y avait des similitudes de mouvement entre les danses congolaises et vietnamiennes. Seule différence, le tempo. »

Dans l’atelier arts plastiques, qui a fabriqué les chars, l’attention s’est portée sur les coiffures distinctives des trois communautés. « Elles sont entre le costume et le trait physique. Ce seront un peu nos totems », sourit Thy Truong Minh. Pendant la parade, des dessinateurs croqueront le public sur des bannières transparentes. « Pour l’intégrer dans le spectacle, puisqu’on veut montrer le multiple. » Leur désordre est festif.

« Le désordre culturel se passe dans la joie, et ce sera une joie de pouvoir le concrétiser dans la rue. »

Leprince Patrice; Wernaers Camille

LE SOIR, Samedi 19 mai 2012, page 57


Le mot des jeunes



Belgique, 30 ans plus tard

Le décor, un pays couvert de nuages, est resté le même.

C’est l’histoire qui évolue: les jeunes militants vietnamiens ont grandi; Ils ont fondé leur famille et leur enfants ont, ou vont bientôt atteindre l’âge qu’ils avaient lors de leurs révoltes contre les injustices au Vietnam et dans le monde. La fin de la guerre au Vietnam a été déclarée depuis… et la nouvelle génération n’a plus à craindre pour la paix (au sens occupation armée) dans ce pays lointain. Les rassemblements entre jeunes vietnamiens se font plus rares mais persistent néanmoins. Il n’est plus question de brandir les banderoles « stop à la guerre », les intentions sont d’ordre plus existentiel.

En effet, nous, citoyens de nationalité belge et d’origine vietnamienne, cherchons les cailloux qui forment notre chemin de vie. Qui sommes-nous? Belges ou Vietnamiens? Ni l’un ni l’autre ou un mixte des deux? La question ne veut pas de réponse, elle nous pousse à chercher et nous mène tout naturellement vers des personnes de même particularité. Pour certains, l'Union des Vietnamiens en Belgique et sa troupe artistique Truong Son offrent en plus une manière de connaître le pays de ses origines à travers sa culture. Par les chants, par les danses gracieuses, on reforme les notes d’une mélodie rythmant une journée dans les rizières. On se crée son propre Vietnam au cœur de sa terre d’accueil, la Belgique.

Vietnam, 30 ans plus tard

La réalité est bien différente…

Même si les campagnes sont restées telles qu’elles étaient lorsque nos parents les ont quittées, et donc telles que nous les imaginons, les villes se sont transformées : agrandies, rénovées, elles abritent 1001 marchands, artisans, restaurateurs, fonctionnaires, étudiants, chômeurs, etc. tout comme en Occident, et le tout colorié par 1001 couleurs, cadencé par 1001 klaxons de mobylettes. Le pays semble avoir oublié le drame qui s’est produit voilà même pas un demi siècle: le Vietnam d’aujourd’hui est une explosion de vie !

Malheureusement, ce beau décor cache un bien triste revers…

Bien que la guerre armée ait bel et bien cessé, une autre guerre, plus longue et silencieuse, a vu le jour. Les épandages entre les années 1961 et 1971 effectués par les raids américains dans le but d’éclaircir la jungle vietnamienne et ainsi repérer les troupes communistes, étaient faits d’herbicides contenant une quantité de dioxine extrêmement élevée. Depuis, le poison s’est infiltré dans les terres et les dégâts sont considérables : forêts dévastées, rivières polluées et surtout une population intoxiquée (anciens combattants atteints par le cancer, mortalité infantile, malformations physiques et mentales parmi les générations suivantes, etc.). La gravité de la situation est telle qu’une mobilisation internationale d’aide aux victimes est en train de s’agrandir, notamment en Europe.

Belgique - Vietnam, 30 ans plus tard

Un tel appel a eu son écho en Belgique.

Suite à une conférence présentée par l’association « Vietnam, les enfants de la dioxine », il y a un an et demi, nous avons voulu apporter notre petite contribution à cet élan de solidarité. Au départ, il a fallu beaucoup d’énergie pour s’y mettre ; une vie trop tranquille nous a rendu un peu passifs… Une vente de Noël a quand même eu lieu en décembre 2002 à l’ULB(1). C’était une première et non sans succès ! Notre recette a été de 1000 € environ après une semaine de vente, tous les bénéfices étant directement envoyé à «Vietnam, les enfants de la dioxine ». Quelle joie cela a été de participer, de souffrir dans le froid et d’être parfois privé de dîner (oui mais plus jamais !), de se sentir utile, de se remuer un peu !

Du coup, nous avons décidé d’ouvrir notre stand artisanal durant l’année 2003, lors d’événements publics ou de fêtes, pour être en mouvement, ne plus jamais s’arrêter. C’est alors que nous avons du faire face aux difficultés que rencontre toute action : une vente peu rentable, des gens peu intéressés, ou un manque d’enthousiasme. Mais aucun projet n’a été échec, nous en sommes toujours sorti plus instruits, plus compétents. D’ailleurs nous avons en tout pu récolter plus de 700 € ! Pour la vente de Noël 2003, plus question de tomber dans les pièges de débutants : on s’installe bien au chaud à côté des restos ! Notre ambition ayant doublé par rapport à l’année précédente, il en fut de même pour les bénéfices : plus de 2000€ en 2 semaines !

Sur la lancée, l'année 2004 a été une année faste. Elle a débuté en beauté par un Têt pleinement réussi grâce à une nouvelle conception du spectacle où la culture vietnamienne est présentée avec une sensibilité toute nouvelle. Nos actions habituelles comme la vente de Noël ont été poursuivies, renflouant la caisse de plus de 1300 €, mais l'apotéose a été sans nul doute l'organisation en décembre de la conférence avec l'Association des victimes de l'agent orange/dioxine Vietnam (Mme Nguyen Thi Ngoc Toan, Mme Thinh, My Quyen et Son Lam). Durant les 2 jours qui ont suivi la conférence, la délégation a eu l’occasion de rencontrer la communauté vietnamienne de Bruxelles ainsi que l’ambassadrice. Cela n’a pu se faire sans la mobilisation de « mây Cô mây Chú » qui ont consacré leur temps à préparer les repas de la délégation et à leur faire visiter la ville. En 3 jours, tant de choses peuvent se créer: des liens d’amitiés, un mouvement de solidarité, des sentiments de devoir envers les pays exploités par les industries de guerre, etc. Et tout cela, grâce à la présence d’un petit groupe de gens simples, désireux de promouvoir la justice en ce monde. Cette rencontre a été pour nous un enseignement précieux: nous avons vu des êtres rayonner malgré leurs difficultés et nous avons vu renaître un mouvement de solidarité que nous ne connaissions pas jusqu’alors.

Cette expérience a été la braise qui engendra un solide mouvement de solidarité ainsi de nombreux projets au sein de notre groupe.

Ce ne peut être qu’un bon présage pour l’année 2005, une année qui a démarré déjà en trombe avec le Têt au CERIA. Nous y étions un peu éparpillés entre techniciens, artistes et le stand. Nous y étions surtout pour revêtir nos costumes traditionnels et fêter l’année du Coq mais aussi pour ne pas oublier les traces de la guerre.

Tam Hau

Bruxelles, 2005